Avant tout propos, il me semble intéressant de rappeler le point n° 2 de notre Règle en 12 points :

« La FM se réfère aux anciens devoirs et aux land marks de la Fraternité, notamment quant à l’absolu respect des traditions spécifiques de la régularité de la Juridiction »

Avant d’aller plus loin encore, il n’est pas inutile de redire que ce qu’il est convenu d’appeler « la FM spéculative » s’est organisé en 1717 en une obédience : la Grande Loge de Londres.

L’évènement concernait des Maçons spéculatifs ou acceptés c’est-à-dire des membres qui n’étaient pas du Métier.

La 1ére assemblée générale de cette toute 1ère Obédience confia à l’un de ses fondateurs le pasteur James ANDERSON, d’établir les constitutions de l’Ordre qui furent soumises à l’assemblée générale de 1722. Les rédacteurs étaient également chargés de rassembler les anciens manuscrits pour en donner une synthèse et c’est à cette occasion que fut également présenté le manuscrit COOKE de 1410, établissant ainsi la filiation des constitutions avec les anciens devoirs et c’est donc en cela que les anciens devoirs nous concernent encore.

Qu’est ce qu’un ancien devoir ?

Les old charges, les anciens devoirs, sont des textes à caractère réglementaire, légendaire ou historique, sans aperçu explicites sur le rituel ou le symbolisme des opératifs. Ils sont les témoins de la Tradition et il nous est nécessaire, à nous maçons garants de la Tradition de connaître ces old charges, ces anciens devoirs.

Depuis 1888, les old charges ont été classés par l’historien anglais Wilhem Begemann en 10 familles (diapos)

Attardons nous un instant sur les 2 plus anciens, le Régius et le Cooke

 Mentionné pour la 1ère fois en 1670 dans un inventaire de la bibliothèque John Treyer, laquelle fut vendue à un libraire de Londres, Robert Scott en 1678 avant que Charles II en fasse lui-même l’acquisition, le manuscrit appartint alors à la bibliothèque royale jusqu’en 1859 – d’où son nom REGIUS – date à laquelle le Roi en fit don au British Muséum.

Sa première édition date de 1840 par JO HALLIWELL dans « early introduction of freemasonry in England »

A la différence du manuscrit Cooke, le Régius est un poème (en vers octosyllabiques) rédigé en dialecte archaïque.

Le Régius est placé en tête de la chronologie des old charges à cause de son ancienneté (les experts ont pu situer sa datation à 1390) mais on ne peut pas considérer que les autres en dérivent ; il forme à lui seul une classe à part.

Par contre, tous les autres manuscrits dérivent plus ou moins directement du Cooke, tout au moins en ce qui concerne l’histoire légendaire du Métier.

La famille PLOT comporte en particulier le manuscrit William Watson qui de tous les manuscrits des anciens devoirs est le plus proche du Cooke ; il est cependant de la fin du XVII e siècle (1687) et représente donc à ce titre une transmission particulièrement fidèle de la tradition médiévale.

La 1ère édition du Cooke est celle de Matthew Cooke (qui lui a donc donné son nom) dans « history and articles of freemasonry  » à Londres en 1861 ; le manuscrit est également conservé au British Muséum et son premier possesseur connu est George Payne qui était en 1721 Grand Maître de la Grande Loge d’Angleterre.

Le manuscrit Cooke est en fait formé de 2 textes recopiés et mis bout à bout, sans que le copiste ait fait le moindre effort pour les lier ; on distingue donc le Cooke 1 (lignes 643 à 960 et dernière) et le Cooke 2 (lignes 1 à 642).

Le Cooke 1 est très proche des old charges  du Régius mais il est en prose au lieu d’être en vers ; il se subdivise comme suit :

  1. un récit historique qui comprend lui-même un récit sur Euclide présenté comme « savant maître de la noble science de géométrie » et un récit sur l’introduction de la maçonnerie en Angleterre « au temps du roi Athalstan qui fut jadis roi d’Angleterre » et la fixation des devoirs.
  2. les devoirs proprement dits qui comprennent :
    • 9 articles correspondant à une partie des articles du Régius (lignes 727 à 826)
    • 9 points (lignes 831 à 901) correspondant également à une partie des points du Régius
    • ces articles et ces points sont précédés (lignes 702 à 727) , séparés (lignes 827 à 830) et suivis (lignes 901 à 960) par des prescriptions relatives aux assemblées.

Il est clair que le Cooke 1 et les old charges du Régius constituent de la sorte une recension d’une même tradition, c’est-à-dire la vérification de l’appartenance à une même tradition, voire une même source écrite ; l’existence d’une  source écrite est évoquée aux deux premiers vers du Régius : « quiconque sait comprendre et lire pourra trouver en livre ancien »

 Le Cooke 2 quant à lui est composé, pour s’en tenir aux grandes lignes :

  1. d’une invocation à Dieu, créateur de toutes les choses utiles à l’homme, et en particulier de la géométrie (lignes 1 à 35)
  2. d’un exposé des 7 arts libéraux (lignes 36 à 76)
  3. d’un éloge plus particulier de la géométrie dont la maçonnerie en forme elle-même l’élément principal (lignes 77à 158)
  4. enfin, d’une vaste histoire de la géométrie ou maçonnerie  depuis les origines du monde (lignes 159 à 642).

Le fait que , tant le Régius que le Cooke se présentent comme des règlements de métier pourrait laisser croire qu’ils ont été rédigés par des maçons opératifs pour fixer par écrit les coutumes et traditions orales de la maçonnerie.

Il est tout à fait probable que des maçons de métier soient intervenus dans la rédaction elle-même ; mais les clercs, c’est-à-dire les membres du Clergé , pour lesquels travaillaient ces maçons sur les chantiers des églises et cathédrales ont joué dans la rédaction un rôle au moins aussi important, et en particulier c’est vraisemblablement d’eux qu’est venue l’initiative de mettre par écrit ce qui dans le métier se transmettait de façon purement orale. L’étude du contenu même des textes révèle un apport spécifiquement clérical, ne serait ce que par leurs références bibliques.

L’intérêt d’assurer la rédaction des anciens devoirs par des clercs, donc par des gens d’Eglise je le répète, serait en l’occurrence de prévenir toute dérive qui, de la part de maçons assez peu lettrés et guère théologiens, risquait de tourner à l’hétérodoxie (non conforme à la doctrine), pour ne pas dire à l’hérésie ….est-il besoin de rappeler que nous sommes à l’époque médiévale où sévit encore l’inquisition.

Les anciens devoirs, tout comme les constitutions d’Anderson dont elles sont issues et qui servent de référence à la maçonnerie moderne, sont composés de 3 parties communes aux différentes familles telles que définies précédemment :

  •  l’origine du métier
  • le serment et les obligations
  • l’organisation du métier et ses règles morales, calquées sur les règles monastiques du moyen âge
  1. L’origine du métier

La référence à l’antiquité et à la respectabilité du métier permettait à chaque maçon de se sentir dans une immense chaîne dont il était l’un des maillons.

Les règles du métier transmises par les personnages les plus importants de l’antiquité, par des rois, confirmaient l’excellence de la profession.

Ainsi dans le manuscrit Cooke, c’est le roi David lui-même qui donna les constitutions ou charges aux maçons : à partir de la ligne 550 « le roi David aimait bien les maçons et leur donna des instructions fort proches de ce qu’elles sont aujourd’hui.A la construction du Temple au temps de Salomon, comme il est dit dans la Bible au 3ème livre des rois  » Salomon avait 80.000 maçons sur son chantier et le fils du roi de Tyr était son maître maçon » il est dit chez d’autres chroniqueurs et en de vieux livres de maçonnerie que Salomon confirma les instructions que Davis son père avait donné aux maçons et Salomon lui-même leur enseigna leurs coutumes peu différentes de celles en usage aujourd’hui.

  1. Le serment et les obligations

Par l’engagement pris sur la Bible devant l’assemblée des frères, le maçon devient non seulement responsable devant cette assemblée (protection du secret des marques du métier) mais également devant Dieu ; cette alliance chrétienne qui sera le fondement des constitutions d’Anderson en 1723 sera élargie à l’alliance noachique, la plus universelle qui soit, dans l’édition de 1738.

Ainsi dans le Régius, il est fait mention de l’obligation suivante : « qui ce métier veut embrasser doit aimer Dieu et Sainte Eglise son maître aussi chez qui il vit où qu’il aille par champs et bois tes compagnons tu aimeras ainsi le veut ce tien métier » ( vers 263/268)

Puis du vers 429 à 440 : « serment sincère il doit jurer à son maître et ses compagnons, doit se montrer fidèle et sûr envers ces lois où qu’il se trouve, à son seigneur souverain roi être loyal par-dessus tout.Tous ces points ci énumérés tu dois jurer de les garder et tous feront même serment tous les maçons bon gré mal gré de respecter ces divers points que sont le fruit de bonne science »

  1. L’organisation du métier et les règles morales

Tant dans le Cooke que dans le Régius, toute une série d’articles régissent la réglementation du métier .

Exemples :

. 2nd article du Cooke : « tout maître de notre art soit prévenu par avance de venir à cette congrégation afin d’y venir ponctuellement sauf s’il a quelque excuse »  il est déjà question de convocation et d’assiduité…..

. 3ème article du Cooke : « aucun maître ne prenne d’apprenti pour un stage inférieur à 7 années au minimum parce que celui qui aurait un stage plus court ne serait guère capable d’être à la hauteur de son art ni de servir loyalement son seigneur en s’appliquant comme un maçon doit le faire » je laisse à votre réflexion l’humilité qui se dégage de cet article…

Outre la réglementation du métier, les old charges édictent les règles morales du maçon dans l’exercice de son métier :

  • point 8 du Régius : « le point huitième est sans problème : si tu deviens un responsable reste loyal envers ton maître, jamais ne t’en trouveras mal, vrai médiateur te montreras entre maître et bons compagnons fais vraiment tout ce que tu peux sans distinction ainsi qu’il sied »
  • l’obligation de l’apprenti est très explicite dans le point 3 du Régius : « notre point trois doit être à part, sachez le toi ton apprenti tienne secrets l’avis du maître et celui de ses compagnons, l’atelier doit rester privé secret ce qui se passe en loge ; quoi que tu vois uo bien entendes n’en parle point où que tu ailles, propos de salle ou bien de chambre garde secrets pour ton honneur de peur de te voir critiquer et le métier déshonoré » on n’a rien inventé….

Les devoirs proprement dits

  • les devoirs généraux

souvent une obligation touchant à la pratique même du métier se trouve dans ces devoirs généraux :

  • constitution de Roberts (1722) « vous garderez secrètes les parties obscures et complexes de la science, ne les révélant qu’à ceux qui les étudient et utilisent »
  • manuscrit Grand Lodge n° 1(1583) « gardez fidèlement toutes les délibérations de vos compagnons, que ce soit en loge ou en chambre et toutes les autres délibérations qu’il y a lieu de garder en fait de maçonnerie »

Que cette obligation de secret soit mentionnée dès les devoirs généraux en dit long sur son importance et ne devait certainement pas concerner que des secrets techniques…

  •  les devoirs particuliers

 Il est aussi conseillé de reprendre le travail d’un compagnon qui risque  de gâcher une pierre en lui montrant comment faire et en usant de bonnes paroles : se comporter ainsi sur le chantier et traiter les ouvriers en personnes intelligentes est incontestablement une conduite fraternelle, déjà codifiée.

Les anciens devoirs ont également pour origine les procès verbaux des loges opératives, les plus anciens concernent :

  • La loge écossaise de Mary’s Chapel à Edimbourgh qui remonte à 1599
  • La loge anglaise d’Alnwick , elle fonctionnait bien avant 1701, date des 1ers procès verbaux et est restée en activité purement opérative, étrangère à la Grande loge de Londres, jusqu’en 1748.

Justement, l’intérêt de l’étude de ces « minutes » est d’essayer de déterminer à quel moment les loges opératives ont accepté des « spéculatifs » en leur sein.

A priori, le phénomène de l’acceptation, c’est-à-dire l’admission dans les loges opératives de membres n’ayant aucun lien avec le métier, est relativement tardif ; les plus anciennes acceptations signalées sont celles à la loge Mary’s Chapel, de Lord Alexander et de son fils cadet en juillet 1634, ils furent reçus compagnons, ils étaient les amis de John Mylne, maître maçon du roi Charles 1er et qui était lui-même membre de la loge depuis 1633.

Les catéchismes ou rituels, ainsi que les divulgations sur les cérémonies d’initiation au 1er degré sont autant de documents également à l’origine des anciens devoirs

Catéchismes / rituels 

jusqu’au XVIIIe  siècle, le rituel maçonnique affichait un caractère chrétien commençant généralement par une prière d’entrée à caractère explicitement trinitaire .

manuscrit Dumfries n°4 : « le tout puissant Père de sainteté, la sagesse du Glorieux Jésus par la grâce du Saint Esprit, ceux-ci étant trois personnes en une seule divinité, que nous implorons d’être avec nous au commencement (de nos travaux) et de nous donner la grâce pour nous diriger ici-bas en cette vie mortelle vers Lui afin que nous puissions arriver à son royaume qui ne doit jamais avoir de fin »

Divulgations

les divulgations donnant une description de la cérémonie d’initiation au 1er degré ne sont pas nombreuses et ont été généralement publiées dans les journaux de l’époque.

Une des plus célèbres est celle parue dans un article du Daily Journal du 15 août 1730  intitulé « the mystery of free-masonry » :

« quand j’arrivai à la 1ère porte, un homme armé d’une épée nue me demande si j’étais armé. Jrépondis que non. Il me laissa alors pénétrer dans un passage  obscur. Là, deux surveillants me prirent par les bras et me conduisirent des ténèbres à la lumière, en passant entre deux rangs de Frères qui se tenaient silencieux. De la partie supérieure de la pièce, le Maître descendit à l’extérieur des rangs et touchant un jeune Frère à l’épaule, il dit : « qui avons-nous ici ? » A quoi celui-ci répondit : « un homme qui désire être admis « membre de la Société ». Après quoi il revint à sa place et me demanda si je venais ici de mon plein gré ou sur la demande ou le désir de quelqu’un d’autre. Je répondis : « du mien propre ». Il me dit alors que si je voulais devenir un Frère de leur Société, je devais contracter l’Obligation que l’on fait prêter en cette occasion ».

Pour conclure sur les old charges, un mot sur le système bi-grade (apprenti-fellow)

aucun manuscrit à 3 grades avant 1710.

Le premier manuscrit concernant les 3 grades date de 1711, 6 ans avant la fondation de la Grande Loge d’Angleterre.

Le système bi-grade est formellement établi dans 4 manuscrits, tous écossais :

  • the Edinburgh Register House 1696
  • Le Chetwode Crawley  1700
  • Le manuscrit Kevan 1714
  • Le fragment du manuscrit Haughfoot 1702

Le manuscrit Sloane (1700) précise les différents attouchements et signes qui n’étaient pas apparu avant ainsi que le serment qui contenait des phrases que nous employons aujourd’hui dans le rite Emulation.

Le manuscrit Dumfries n°4 (1710) présente un catéchisme à la fois traditionnel et biblique très proche de celui que nous pratiquons notamment en ce qui concerne la prestation de serment des maîtres maçons.