En préambule il est important de préciser dans quel contexte nous allons aborder la notion de landmarks : nous nous situons dans le cadre de la Franc-maçonnerie de Tradition, c’est-à-dire les grades ou degrés réunis sous l’obédience d’une Grande Loge régulière, ce qui peut paraître évident mais qui évitera toute distorsion vers un rite ou un autre.
Notre Franc-maçonnerie comme son nom l’indique déroule son cheminement sur le chemin évolutif du métier de maçon, compris comme bâtisseur allant de la pierre brute au chef de chantier.
La cohérence de ce choix entraîne une dédicace de l’œuvre à la gloire du Grand Architecte d’une part et la croyance en sa volonté révélée d’autre part (théiste).
Que signifie ce nom de Grand Architecte de l’Univers accolé à Dieu ? Après avoir affirmé sa croyance en Dieu, le Franc-maçon fait le choix de limiter sa référence un seul des attributs de la Divinité. Dieu dans sa plénitude et dans tous ses attributs (il est généralement admis que la tradition donne à Dieu 70 à 72 attributs.
La notion d’Architecte est donc l’énergie divine choisie par la Franc-maçonnerie et de ceci découlent deux éléments fondamentaux :
- la notion de plan qui s’associe naturellement à celle d’Architecte et par là justifie l’idée d’inclure l’ordre maçonnique traditionnel dans l’alliance
- la notion d’espace dans lequel va se matérialiser l’exécution du plan
Cette notion est la source du mot Landmark.
De quel espace s’agit-il ?
Dans leur déroulement actuel les grades relevant de l’obédience d’une Grande Loge ont choisi comme élément de support la construction du Temple de Salomon.
Cette construction mystique a pour effet d’identifier le myste à l’élément brut tel qu’il apparaît dans la nature, tel qu’il est dans le monde profane et progressivement, par degrés, de le mener de pierre brute à pierre taillée, puis à connaître comme contremaître le plan qui met chaque pierre à sa place.
Le plan donne la limite de chaque élément comme du tout qui est l’édifice. La pierre a ses limites qui sont sa nature. Le tailleur de pierre a ses limites qui sont de rendre la pierre brute adaptable à une construction. Le maçon a ses limites qui sont de placer solidement les pierres dans la construction. Le contremaître a ses limites qui sont de veiller à la conformité entre la construction et le plan de l’Architecte. L’Architecte a ses limites qui sont d’adapter des matériaux à un lieu et à une idée qui ont été définis par le maître d’œuvre. Quant au maître d’œuvre il a ses limites qui sont d’édifier un Temple à partir des règles universelles tirées de la Tradition afin que l’homme se trouve coupé du monde profane pour devenir sensible au Sacré qui doit advenir par les rites, rites qui limitent la révélation au fait de rendre directement sensible l’immanence et la Transcendance dans l’œuvre.
Tant en Angleterre qu’en France, la culture, la vie quotidienne, la coutume et le droit étaient justifiés par référence à un texte essentiel (l’Ecriture). Les définitions, les discussions associaient clercs et seigneurs, et les termes employés étaient ceux de la Bible.
Si l’Angleterre nous donne des bases historiques pour notre institution, elle nous donne aussi un vocabulaire, et celui-ci est dans sa justification celui de la Sainte Loi.
Or quel est dans la Bible le mot d’usage employé pour signifier « limite » ?
Le terme d’origine de la Thora est GEBUL (prononcé GEVUL, exprimant le GUIMEL, Beth, Vav, Lamed) et si nous nous rapportons à la Bible Anglaise Standard (la King James) le terme employé est « Landmark ».
Définition retenue pour « Landmark »
Les « Landmarks » sont des pierres dressées permettant de délimiter le territoire d’une propriété. Ces pierres pourraient être facilement déplacées par un homme malhonnête d’où l’interdiction édictée dans la Bible par deutéronome 27.17 et deutéronome 19.14 de déplacer illégalement les bornes d’une propriété.
Deutéronome 27.17 : « Maudis soit celui qui déplace les bornes de son prochain ! et tout le peuple dira Amen ! »
Deutéronome 19.14 : « Tu ne reculeras point les bornes de ton prochain, posées par tes ancêtres, dans l’héritage que tu auras au pays dont l’Eternel, ton Dieu, te donne la possession ».
Ce texte résume tout en l’explicitant l’alliance conclue entre le Seigneur et le Peuple hébreux Alliance particulière où chacun des partenaires n’est obligé qu’autant que l’autre respecte ses engagements. Le Seigneur proclame son engagement à bénir et aider Israël plus que tout autre peuple dans la Terre Promise à ses ancêtres. En contrepartie, Israël doit suivre la Loi (Thora) transmises à Moïse. Le Seigneur devient le juge et le garant de l’Alliance. Il récompense la fidélité mais sanctionne les transgressions.
Pour résumer, les sources bibliques font procéder le Landmark (Borne, Limite) de l’Alliance contractée et révélée par Dieu avec son peuple.
Deutéronome 19.14 précise les quatre points essentiels pour pouvoir avoir le caractère indiscutable de Landmark :
- Définition d’un territoire dans son rapport à l’environnement.
- Respect des décisions, des limites qui ont été celles des prédécesseurs dans le domaine où l’on se trouve.
- Le territoire n’est pas celui d’une conquête mais celui qui est échu, c’est-à-dire celui qui revient par Tradition, par hérédité.
- Ce territoire est celui qui a été accordé par Dieu lui-même aux occupants et à leurs ancêtres.
Ce déroulement du monde matériel, de la possession de la Terre d’Israël et de son partage entre les tribus peut être appliqué directement au domaine d’une société ou d’une évolution spirituelle.
Voyons comment l’homme au travail, le maçon, entre, de par son métier, dans l’Alliance.
La Maçonnerie Traditionnelle fait remonter son origine à Adam qui est le premier maçon. Si nous reprenons le récit de la Genèse, l’homme reçoit au fond de son être, dans ce qui le constitue substantiellement, une empreinte divine, il est « l’image » de Dieu. Non seulement il y a entre Dieu et lui comme une intimité de relation de cause à effet ; mais elle est du genre de celle qui n’existe qu’entre père et enfant : « la ressemblance ». Dieu est créateur de l’homme. L’homme après Lui le sera à son tour.
Dieu a créé un royaume pour l’homme. Il a constitué l’homme à Son image pour dominer ce royaume et pour le peupler de ses fils. En un mot « Achever la création à votre guise » c’est-à-dire selon Mon plan puisque vous êtes à ma ressemblance.
La condition de l’homme, dans son activité pour maintenir et achever la création en façonnant l’univers se voit modifiée par la transgression d’Adam. Cette transgression va bouleverser l’ordre des choses. Comme Adam est devenu rebelle à son Créateur, le monde est devenu rebelle à l’homme dans tous ses éléments. L’activité heureuse d’avant la chute est inversée en travail pénible, en lutte pour la reconquête d’un royaume qui, à l’origine, lui avait été donné.
Une première tentative sera menée par les descendants d’Adam, jusqu’à Noé ; et le déluge ayant effacé cette première tentative, dieu passe un pacte avec Noé (Genèse 9,8-17). De là découle tout le processus que l’on a décrit sous le nom de « Noachisme » maçonnique.
La Maçonnerie a pris ces deux références :
- Celle d’Adam pour donner à comprendre, semble-t-il, le rôle particulier de l’homme dans le plan de Dieu, c’est-à-dire le rôle d’associé à la ressemblance et à l’image.
- Celle de Noé pour faire sentir à quel point le juste qui obéit à l’ordre divin en construisant est celui est le premier maillon de la chaîne restituant l’identité Adamique, l’homme par lequel Dieu va rétablir son plan par la proclamation de l’alliance.
Les sources des Landmarks dans le Métier de Maçonnerie sont dans les Old Charges.
Ces sources mettent en évidence un fait fondamental : la Maçonnerie œuvre à la Gloire de Dieu connu sous son attribut de Créateur et le nom de Grand Architecte de l’Univers : elle travaille donc au plan de la réalisation spirituelle de l’homme, dans l’ordre de la Création, par la connaissance de la Nature créée et ordonnée, qui renvoie à Dieu l’être subsistant par soi, et par le travail de la main qui taille la pierre.
Nous retiendrons ce qui est invariable derrière la multiplicité des formes :
- la croyance en Dieu et en Sa Volonté révélée ;
- le comportement moral qui découle de l’Alliance avec Dieu,
- le respect des lois de la cité,
- l’obéissance aux lois et règlements du Métier, la pratique de la Fraternité et de la Bienfaisance.
Les Anciens Devoirs, les Olds Charges reprennent tous ces quatre éléments, avec des développements particuliers sur la pratique du Métier, comme ascèse participant à l’œuvre de Dieu dans l’Ordre de la création au moyen de la construction sur le chantier du Temple.
Pour autant, la Franc-Maçonnerie ne saurait être assimilée à une religion, n’ayant pas de doctrine de salut. Elle n’est qu’une voie de réalisation.
Le Landmark à un certain nombre de caractéristiques propres et intangibles qu’il n’est pas au pouvoir d’un individu, ni même d’une Grande Loge, de modifier.
Ces Caractéristiques sont les suivantes (Mackey)
- Le Landmark est immémorial,
- Le Landmark est immuable (il ne peut être abrogé)
- Le Landmark est inchangeable (il ne peut être modifié)
- Le Landmark est Principe fondateur,
- Le Landmark est Universel (Universel = proposition de Dieu, Créateur, à tous les hommes de bonne volonté de croire en Lui et en Sa Volonté révélée et de parfaire Son œuvre).
Le 4 septembre 1929, la Grande Loge Unie d’Angleterre a défini les huit « conditions » aux termes desquelles elle pouvait reconnaître la régularité d’une Grand Loge étrangère.
Ce sont :
- « la régularité de son origine, c’est-à-dire que chaque Grande Loge aura été créée réglementairement par une Grande Loge dûment reconnue ou par trois Loges ou plus régulièrement constituées.
- « Que la Croyance au Grand Architecte de l’Univers et en sa volonté révélée sera une condition essentielle pour l’admission des membres.
- « Que tous les initiés devront prêter l’Obligation sur le Livre de la Loi Sacrée ou les yeux fixés sur ce livre ouvert par lequel exprimé la Révélation d’En-Haut à laquelle l’individu venant d’être initié est, sur sa conscience, irrévocablement lié ».
- « Que la composition d’une Grande Loge et des Loges particulières sera exclusivement d’hommes, et que chaque Grande Loge n’entretiendra aucun rapport maçonnique de quelque nature que ce soit avec des Loges mixtes ou avec des corps qui admettent des femmes comme membres ».
- « Que la Grande Loge exercera une juridiction souveraine sur les Loges soumises à son contrôle c’est-à-dire qu’elle sera un organisme responsable, indépendant et entièrement autonome, possédant une autorité unique et incontestée sur le métier ou les degrés symboliques (Apprenti enregistré Compagnon et Maître) placé sous sa juridiction, et qu’elle ne sera en aucune façon subordonnée à un Suprême Conseil ou autre puissance revendiquant un contrôle ou une surveillance de ces degrés, ni ne partagera son autorité avec ce Conseil ou cette puissance ».
- « Que les Trois Grandes Lumières de la Franc-Maçonnerie (c’est-à-dire le Livre de la Loi Sacrée, l’Equerre et le Compas) seront toujours exposées pendant les travaux de la Grande Loge ou des Loges sous son contrôle, la principale de ces Lumières étant le Volume de la Loi Sacrée ».
- « Que les discussions d’ordre religieux et politique seront strictement interdites en Loge ».
- « Que les principes des « Anciens Landmarks », coutumes et usages du métier seront strictement observés.
Les Constitutions de la période spéculative (Constitution d’Anderson de 1723 et de 1738 et Ahiman Rezon de 1756) reprennent les Landmarks fondamentaux et utilisent le thème général de la construction du Temple de Salomon comme figure symbolique de la réalisation spirituelle.
Dans ce sens, il n’y a pas rupture avec la période opérative, seul le matériau change, on passe de la pierre à l’homme comme matériau qui doit être taillé pour être mis en conformité avec le plan de Dieu, Grand Architecte de l’Univers.
Pour conclure, rappelons :
- Les Landmarks sont les bornes de la Tradition du Métier,
- Les Landmarks sont le lieu où s’accomplit la Transmission du Métier,
- Les Landmarks sont les garants de la Régularité d’une Grande Loge.
Landmarks = règles intangibles.