L’idée de nous réunir, venant les uns et les autres de tous Orients, le 4 juillet prochain pour une journée fraternelle en région parisienne, de travail, réflexion et action, reçoit un écho très favorable. Le jour parait historique du fait de sa date ; voir enfin jaillir de partout une Maçonnerie conforme à son esprit originel remplit de joie bien des cœurs.
Parmi les différentes suggestions sur les objectifs à partager, celle d’ouvrir également le site Internet à l’enregistrement d’échanges et d’interviews, et à des regards songeurs sur la vie maçonnique contemporaine et l’expression vivante de notre tradition. Pour saluer cette nouvelle idée, voici l’actualité maçonnique qui précédera notre réunion et mérite quelques instants de réflexion pour constater qu’elle n’est pas aussi surprenante qu’elle le paraît.
La Grande Loge de Londres est née le 24 juin 1717 de la volonté de quatre Loges indépendantes. « Il n’y avait pas de cotisation régulière ; chaque membre versait une petite somme pour couvrir les frais de la soirée, avec quelque chose en plus au bénéfice du malade et du malheureux. » Henry Sadler, bibliothécaire adjoint de la GLUA. La Très Ancienne et Honorable Société des Maçons Libres et Acceptés est aussi créée à Londres le 17 juillet 1751, pour lutter contre l’évolution contraire aux usages de la première Grande Loge. Il s’agit d’une nouvelle association de Loges indépendantes. Son Grand Maître est élu pour six mois. L’appartenance à une Grande Loge n’abroge en rien la souveraineté de la Loge ; la base de la fraternité reste avant tout le Maçon. Les Loges qui restent indépendantes de ces deux Grandes Loges se nomment « Saintes Loges de saint Jean » ; elles « ne reconnaissaient aucun chef en dehors de leur saint patron ». Le Rite Français, tome III. En France, la première Grande Loge compte une minorité de Loges, et de plus devra suspendre ses travaux « sur ordre des autorités ». Les Loges pouvant elles poursuivre leur activité et leur développement. « Le Royaume est rempli de Loges constituées les unes par les autres, qui se sont crues de tout temps en droit de le faire ». 4 mars 1761, lettre de Jean-Baptiste Willermoz à la Grande Loge de Paris. Pour les grades de perfectionnement, même principe : le 2 février 1784, sept Souverains Chapitres Rose-Croix fondèrent le Grand Chapitre Général de France.
Ce qui n’empêcha pas par la suite le Grand Chapitre de faire état d’une soi-disant Patente de 1721, dite Patente Gerbier ! A la fin du XVIIIe siècle, alors que l’obédience était encore, selon l’expression de Bruno Etienne, « au milieu des Loges », le GODF pouvait écrire : « L’entrée du Temple, au lieu d’être celui de la concorde, devenait celle de la discorde.
Les Frères invoquaient en vain les principes innés de la Maçonnerie que tout Maçon est Maçon partout. Le profane, reçu Maçon dans une Loge se disant régulière, était fort étonné, en se présentant au porche du temple d’une autre Loge, d’être regardé comme irrégulier ; il ne lui était pas permis de participer aux travaux de cet atelier. » Lettre circulaire du 22 juin 1799, annonçant l’union dans le respect des sensibilités, grâce à « des génies bienfaisants ». L’Empire modifie immédiatement ce regard attentif au comportement humain et au respect du cheminement individuel. La lumière doit dorénavant venir d’en haut et l’autorité politique prendre en charge l’enseignement de ce qu’elle considère comme de bons comportements, ainsi que le redressement de ce qu’elle juge constituer des écarts dangereux.
La liberté attendue du candidat à l’entrée en Maçonnerie doit ensuite être encadrée par l’obédience, au service du pouvoir. La Restauration puis le 2e Empire conservent les mêmes principes. En 1870, le pli est pris. L’obédience réclame l’obéissance. Le politique remplace l’initiatique. C’est dans le cadre des grandes manœuvres générées par cette transgression de la tradition, qu’il faut comprendre les rencontres du GODF et de la GLNF, organisées le 28 mai 2015 au temple de la rue Cadet à Paris, sur le thème « La Franc-Maçonnerie face à ses mythes ».
Pour François Koch, les deux obédiences ont des différences telles, que la concurrence ne joue pas entre elles ; en revanche l’une souhaite régler des comptes avec la GLDF, l’autre avec la GLAMF. S’installer ainsi au milieu du paysage médiatique illustre pour nous avant tout le dérapage considérable qui s’est produit, et la rupture avec la tradition maçonnique. Blog La lumière, 9 février 2015 : Un axe GODF-GLNF qui isole la GLDF ? D’après mes informations, l’idée de ce colloque GODF-GLNF est née lors d’un déjeuner Keller-Servel début octobre 2014, à deux pas de la Rue Cadet, décision confirmée lors d’un nouveau déjeuner commun en janvier 2015. Si, comme le soulignent les deux grands maîtres, il ne s’agit pas d’une alliance, l’initiative est nécessairement liée au contexte qui a produit de l’irritation tant du côté du GODF que de la GLNF vis-à-vis de la GLDF. Le GODF et la GLNF se sont agacés de l’alliance, réelle celle-là, entre la GLDF et la GLAMF (scission de la GLNF) dans la Confédération conduisant la GLDF à vouloir freiner les inter-visites avec le GODF (dans l’objectif illusoire d’une reconnaissance anglaise). 5 mai 2015, dans son bloc-notes, Jean Laurent analyse de la même manière cette acrobatie médiatique qui elle n’est malheureusement pas un mythe : Daniel Keller, même s’il est de plus en plus contesté en interne souhaite que le Grand Orient de France confirme sa place d’obédience dominante dans le paysage maçonnique français.
Ce sont donc ces deux obédiences, renforcées par le succès de leur stratégie depuis ces derniers mois, qui s’unissent – par intérêt commun uniquement – pour prendre en étau les autres obédiences françaises. André Malraux disait au Général de Gaulle : « Mon Général entre le Parti Communiste et nous il n’y a rien ». C’est la même stratégie qui prévaut aujourd’hui entre ces deux obédiences. Contraindre les autres obédiences à se situer par rapport à elles. Un peu plus loin dans son billet, Jean Laurent présente une réflexion qui doit nous interpeler : « Alors, mariage de la carpe et du lapin entre le GODF et la GLNF, pour la conservation de leurs intérêts bien compris ? Or du binaire en maçonnerie il ne sort jamais rien de bon. Il faut en sortir, nous le savons bien, par le ternaire. »
Alors soyons cette troisième voie, bien réelle pour ceux qui cherchent leur chemin en dehors de l’agitation, et sachons dessiner tous ensemble, sans ambition médiatique, car le nombre n’a jamais été le centre de préoccupation de ceux qui recherchent l’initiatique, et à tour de rôle, car dans l’initiatique une parcelle de lumière illumine chacun, sans que personne n’en détienne davantage à lui seul, les contours de la réponse contemporaine apportée par notre tradition, nos légendes et notre Art maçonnique. Par ce ternaire qui rejette les effets publicitaires de ceux qui se sont laissés emporter vers d’autres rives, sachons conduire celui qui frappe à la porte de nos Loges, sur le chemin de nos symboles et de nos rites, pour l’aider à poursuivre une quête déjà commencée. Si notre voix atteint celui qui cherche, alors il saura discerner ce qui est sauvage, agressif et dévoyé, de ce qui est porteur d’une tradition et d’une voie vers la liberté intérieure, la paix et la fraternité.
Le chemin de la tradition n’est ni celui du tapage médiatique, ni celui d’une technologie fugacement à la mode. Dans un monde changeant, l’âme humaine, par son caractère universel, constitue un îlot de stabilité. Les trésors artistiques de la grotte Chauvet 2 viennent de s’ouvrir au monde contemporain. Ils montrent que si 36.000 ans nous séparent de leur réalisation, l’actualité de leur interrogation et signification reste intacte. Jean Guitton écrivait dans le même esprit : « Comme il est étrange que les Grecs nous paraissent nés d’hier et qu’ils nous montrent les ressorts de l’homme, de l’être, de la politique, alors qu’ils ne savaient rien de ce que nous savons. » Sachons être de notre temps, par l’expression d’une pensée qui est de tous les temps. C’est la raison d’être de nos rites et de nos travaux, dans la profondeur de nos Loges et Chapitres.